Emportement...
Mais aussi égarements, errements,
Et leurs contraire, la congruence, résilience.....
"Traversée des apparences.
L'écran sur lequel vient de se poser mon souvenir est aussi celui par lequel je peux lire mon présent.
Le souvenir témoignant de l'illusion en même temps qu'il la pointe, la perception de la continuité de ma vie ne se fait pourtant qu'à ce prix, par sauts poétiques de lien à lien, de sensation à sensation, de sensations à sens.
Ainsi la fougère appelée "maman" ! cueillie chaque soir, rituellement, l'été de mes onze ans, avec mon père, dans l'ombre humide d'un vallon secret mangé d'herbes hautes, un vallon retourné à la sauvagerie et fréquenté l'espace de quelques jours de 'vacances' par ce père et sa petite fille éperdus de chagrin, cette fougère-là qui évoquant la "maman" perdue, se penchait doucement au-dessus de mon lit où mon père la fixait, évoque tout autant le goût amer mâtiné de noisettes de ses crosses velues, cueillies avant qu'elles ne se déroulent.
Et ces crosses elles-mêmes renvoient à d'autres promenades et à d'autres souvenirs....
et tout cela qui se fait, se cueille et se penche tendrement et se mange -dans l'absence de "maman", cette concrétion de présent qu'est le souvenir- se fluidifie et reprend vie aujourd'hui lorsque dans une promenade, cueillant une fougère, je regarde sur ma main la fine poussière jaune de ses spores.
C'est l'absence de maman apaisée par la fougère.......
* * * * * * * * *
Je suis aujourd'hui à la recherche d'un temps déchiqueté qui, même lorsqu'il était du présent, se lisait à travers le filtre de la discontinuité. J'écris pour savoir si cette discontinuité est une faillite de ma mémoire ou si elle avait une réalité. J'écris au fil des jours, comme si cet acte pouvait fonder non seulement la continuité d'aujourd'hui, mais aussi, peut-être, restaurer celle d'autrefois. Comme si rassembler l'épars de mes émotions pouvait rendre valide un passé qui a souffert de déconstruction, de scission, de schismes et de décloisonnements...."
Emportée -Paule Du Bouchet- Actes sud déc.2010
*** *** ***